Les mille et une pensées
"La différence entre le génie et la folie, est que le génie à des limites."
Albert Einstein
Si vous avez d’autres idées d’analyses ou des critiques, n’hésitez pas à les partager !

Date de sortie : 13 février 2002
Réalisateur : Ron Howard
Casting : Russel Crowe, Ed Harris, Jennifer Connelly
Genre : Drame
Un homme d'exception
La schizophrénie. Un terme parfois employé à tort dans le monde du cinéma induisant ainsi une utilisation erronée dans le langage courant, chez les personnes ayant peu de connaissances réelles sur la pathologie. Ce trouble est parfois identifié comme une dissociation de la personnalité (cas dans Fight Club), et je l’accorde, la distinction est très mince, pourtant, il s’agit bien de deux pathologies différentes. Je vais tenter, en illustrant mes propos grâce au merveilleux film « Un homme d’exception », de peut-être vous en apprendre un peu sur la schizophrénie.
Tout d’abord, il existe différents types de schizophrénies, différents degrés dans la maladie. Ce qui est prédominant dans ce type de pathologie, et je pense ne rien vous apprendre là-dessus car jusque-là, les cinéastes l’ont bien montré, ce sont les idées délirantes. Ce moment d’hallucination intense pendant lequel la personne qui en fait l’expérience à une conviction viscérale de ce qu’il voit ou entend. Ce symptôme s’avère être, en général, très difficile à vivre, puisqu’il brise toutes barrières pouvant séparer la réalité de l’imaginaire. Ne pas savoir si ce que l’on voit, ce que l’on entend ou autres choses ayant un lien avec les sensations, est réel ou non s’avère être extrêmement handicapant. L’intrigue dans « Un homme d’exception » repose sur ce fait principalement. Nous vivons l’histoire du célèbre mathématicien John Nash (Russel Crowe) à travers ses yeux en quelque sorte. Nous voyons ce qu’il voit. Nous même, en tant que spectateur de son histoire, nous ignorons quand nous sommes face à une réalité, ou devant un fait imaginé par lui. Tout du moins pendant une bonne partie du film.
Ce qui est délicat dans ce genre de pathologie, c’est que certaines personnes ne sont pas capables de rationaliser, et d’accepter le fait que leurs idées peuvent être délirantes. Ces idées reposent donc sur des convictions intimes et sur diverses sortes de sujets. Le cas de John Nash me semble extrêmement approprié. Si jamais vous l’ignoriez, il s’agit d’un homme ayant réellement existé et révolutionné le monde des mathématiques grâce à sa théorie des jeux lui ayant valu le prix Nobel d’économie. Il s’agit là d’un homme aux capacités intellectuelles immenses et aucunement altérées par sa maladie. C’est bien une des raisons pour laquelle le diagnostic de sa maladie aura pris autant de temps à être posé.
On dit que John Nash était atteint de schizophrénie paranoïde. La maladie se déclare généralement entre 15 et 30 ans. Il existe deux modes d’entrées dans la maladie. Soit elle se déclare de manière aiguë, c’est-à-dire de façon brutale avec un délire très dominant. Soit elle se déclare de façon insidieuse, très discrètement. En effet, la schizophrénie de Nash était plus qu’insidieuse. La maladie s’était déclarée à son entrée à l’université, donc vers le début de la période jeune adulte. Sa première hallucination s’avérait être son fidèle meilleur ami et colocataire, Charles (Paul Bettany). Lorsque la schizophrénie débute vers l’adolescence, elle se présente sous un mode de rupture dans le quotidien. L’individu ne va plus à l’école, marque un fort désintérêt de plus en plus important, un comportement colérique et devient froid.
Lorsque j’ai suivi mes enseignements sur les pathologies et que donc on m’en a appris un peu plus sur la schizophrénie, un de mes enseignants avait précisé que souvent les jeunes qui entrent dans la schizophrénie par ce mode montrent un intérêt sur les origines, la métaphysique et la philosophie. Je pense que l’on peut aisément rajouter les mathématiques à la liste de centres d’intérêts.
Trêve de « bla bla » théorique, passons un peu à l’analyse du film. Le personnage de John Nash est en quête de reconnaissance et de grandeur tout le long du film. Il n’a qu’un rêve, trouver cette idée qui lui vaudra le respect de tous ses collègues, cette idée qui fera de lui quelqu’un de différent de tous les autres mais surtout qui propulsera sa carrière de mathématicien. C’est ainsi qu’apparait Charles, le colocataire. Le rôle principal de Charles est de motiver en quelque sorte Nash à aller au bout des choses. Je vois Charles comme une représentation d’une partie de la personnalité de Nash qui l’insisterait à ne pas abandonner et a oublier tout ce que les autres peuvent dire.
Le thème général des idées délirantes et hallucinations de Nash dans le film est la persécution. Dans le cadre de sa maladie on parle de délire systématisé qui correspond à un délire construit autour d’un thème principal et d’un mécanisme principal. Ici le délire central étant celui de William Parcher (Ed Harris), venu demander les services de Johh afin de décrypter des messages et codes russes préparant un attentant nucléaire sur les terres américaines. Le délire de persécution est plutôt simple à définir mais aussi à illustrer avec le film. C’est lorsque l’on a le sentiment que quelqu’un nous en veut, que l’on nous suit, que l’on est constamment surveillé, surement même sur écoute. Ce mode de délire a commencé suite à l’hallucination de la course poursuite en voiture un soir. Cinématographiquement cette scène est rapide, angoissante, sombre. On ignore ce qu’il se passe, tout comme John. On vit sa peur à travers cette scène. C’est à partir de ce moment que vont commencer les problèmes relationnels avec Alicia, sa femme. (Jennifer Connelly). Notamment, les médicaments que prennent les personnes schizophrènes pour pallier au maximum aux symptômes entraînent une très grande perte de libido, ce qui complique sa relation maritale.
Le délire paranoïde s’accompagne d’une forte perturbation du monde extérieur. Il peut laisser la personne qui en souffre dans un sentiment d’euphorie mais le plus souvent le délire génère une atmosphère d’angoisse. Il s’accompagne d’impressions de menaces de l’environnement extérieur. John commence à se méfier de tout et de tout le monde. Il a le sentiment qu’on le traque. Mais tout le travail qu’il effectue pour Parcher lui confère ce sentiment d’euphorie. En effet, c’est une mission qui lui plait puisqu’elle lui donne de l’importance. Il a entre les mains des codes qui lui permettront de sauver la nation s’il arrive à les décrypter. C’est excitant pour lui cet intérêt que l’on lui porte, mais aussi ce petit jeu d’espion secret.
« Le vrai cauchemar de la schizophrénie c’est qu’on ne sait plus ce qui est réel. Imaginez que vous appreniez tout à coup que les gens, les endroits et les moments les plus importants pour vous, ne soit ni passé, ni mort, mais pire. Imaginez qu’ils n’aient jamais existés. Vous seriez vraiment en enfer ». Dr Rosen (psychiatre du film)
Au niveau de la conception cinématographique, j’aimerai revenir sur deux scènes qui m’ont paru extrêmement parlantes. En effet, on vit la maladie de John à travers ses yeux si bien que nous même au début nous ignorons lorsqu’il s’agit d’un délire ou de la réalité. En effet, lorsque ce dernier est dans son bureau à l’université on le voit bien rangé, ordonné et sans un papier qui dépasse. Cependant, le moment où Alicia rentre dans ce bureau après avoir découvert la maladie de son mari, c’est une tout autre pièce que nous découvrons avec elle. On retrouve ce même élément avec la grange après que Nash ait arrêté ses médicaments et que ses bouffées délirantes aient recommencé.



N’oublions pas de resituer ce film dans le temps. L’histoire de Nash se déroule entre les années 50 et 60, autrement dit, il n’y avait pas encore eu de révolution au niveau du type de traitement qui était administré aux personnes schizophrènes. Au niveau historique, on parle de cette maladie psychotique depuis au moins 1899, mais ce n’est qu’en 1911 que la schizophrénie a été définie de façon plus ou moins officielle par Bleuler, donc au moment de l’histoire de Nash, il s’agit encore d’une maladie assez récente. A cette époque la sismothérapie (ou électro-convulsivothérapie) était encore très en vogue. On retrouve cette technique dans le film puisqu’en effet il s’agit d’une « thérapie » où l’on administre des électrochocs dans le cerveau du patient. Cette pratique se fait sous anesthésie générale. De cette manière, on provoque des crises convulsives. Dans le film, John en subit 5 fois par semaines pendant 10 semaines. On lui a donc provoqué 50 crises convulsives en l’espace de deux mois et demi, alors finalement, ce n’est pas si étonnant s’il ressemble à un légume à sa sortie de l’hôpital. Une étude plus récente a prouvé qu’à long terme, la pratique d’une sismothérapie induisait une réduction des capacités cognitives (mémoire, apprentissage…). A l’heure actuelle, dans le traitement de la schizophrénie les antipsychotiques ont pris un relai considérable.
Cependant, il arrive très fréquemment que les personnes atteintes de schizophrénie arrêtent leur traitement médicamenteux afin de retrouver les effets « positifs » de leur maladie comme les hallucinations, puisque leur vie semble nettement plus fun avec elles. De plus, les médicaments que prenait Nash lui aplatissaient le cerveau, il n’arrivait plus à réfléchir comme avant et toutes ses intuitions mathématiques avaient disparu.
Mais au final il finit par se rend compte, après les nombreuses épreuves qu’il aura imposé à sa femme, de l’irrationalité de ses hallucinations comme par exemple le fait que la nièce de Charles n’est jamais grandie au fil des années…
Pour terminer ma chronique j’aimerai en venir à la fin du long métrage. On a le plaisir de constater que John arrive finalement à vivre avec sa maladie, à dompter ses hallucinations et mettre cette partie plus ou moins de côté. Il arrive à se reconstruire, à s’insérer à nouveau dans la société et à reprendre une vie de couple et de famille stable. Il obtient donc le prix nobel et continue sa carrière de mathématicien. Ainsi, je trouve que le titre original résume parfaitement ce qu’il faut retenir de la vie de John Nash, « a beautiful mind ».
Ciné Psyché
Réalité ou fiction ?
D'après mes recherches, les faits relatés dans "Un homme d'exception" ne sont pas tous une retranscription de la réalité. Il n'y a jamais eu de William Parcher, de mission secrète de décryptage pour sauver la nation ou de Charles. Ces éléments ont été rajouté à l'histoire de John Nash afin d'illustrer au mieux les symptômes et effets de sa maladie.